Angèle Stalder ou la vie est un cadeau

AngèlePhoto Alberto Cherubini

« A l'usine on sait pertinemment qu'on s’use à force de travailler. Ça nous rend vraiment petits, parce qu'on sort de là tellement fatigués et vidés. Et il n’y a qu'à voir par exemple la participation minime des travailleurs aux affaires publiques et au syndicat aussi. Le soir on est tellement vidés que ressortir de chez soi c'est quelque chose qu'on ne peut pas demander à chacun. Tout le monde n'a pas la même capacité de force et santé. C'est ça vraiment la pauvreté des travailleurs. On se sent petits, minus, rien du tout. »
Assise derrière sa machine à coudre, Angèle Stalder, alors âgée de 64 ans, s’exprime ainsi devant la caméra de la cinéaste et ethnologue Jacqueline Veuve dans son documentaire réalisé en 1978.

« Ma mère m’a dit que je finirai en prison »
Nous avons rencontré Angèle Stalder en décembre 1993 à Fribourg à l’occasion de ses 80 ans. Ensemble nous avons revu le film que Jacqueline Veuve lui a consacré 15 ans plus tôt. Ensuite, autour d’une bonne Cardinal, nous avons parlé. Le socialisme de son père et la foi catholique de sa mère ont créé le terrain fertile pour qu’Angèle s’engage dans la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) puis dans l’Action catholique ouvrière (ACO). Angèle dit ce qu’elle pense et supporte mal la passivité. Syndicaliste et membre de la commission ouvrière, elle se souvient de son engagement syndical au sein de la fabrique de chocolat Villars : « Ma mère m’a dit que je finirai en prison. A l’époque c’était rare de dire quelque chose aux patrons, surtout pour une femme. » Côté conviction religieuse, elle est on ne peut plus claire et concrète : « La foi c’est ce qu’on vit tous les jours avec les autres. Le commandement de Dieu c’est quoi ? Aimer son prochain comme soi-même. C’est pas compliqué ! »

« Les gosses ont besoin d’exemples »
Angèle Stalder n’a pas été épargnée par les épreuves. Son père s’est suicidé lorsqu’elle était adolescente. Elle a dû entrer prématurément dans le monde du travail et aider sa mère à élever ses quatre frères et sœurs. Après 37 ans de travail en usine, célibataire, ne pouvant se déplacer que très difficilement à cause d’une maladie osseuse, elle s’est mise à gagner sa vie en effectuant des travaux de couture chez elle : « Ce n'était pas exactement ce que j'aurais voulu faire, mais enfin. Je n’ai pas eu le choix, j'aurais tellement aimé conduire un train. » Dès ses 50 ans elle a dû apprendre à vivre avec des cannes « tributaire d’une société qui n’a rien pensé pour les handicapés. » Grande lectrice, Angèle Stalder, parfaitement bilingue français-allemand, s’intéresse à l’actualité politique et sociale, à l’éducation surtout : « Si les enfants sont trop gâtés, ils n’auront aucune résistance devant les difficultés. Les gosses ont besoin d’exemples. Si vous n’avez rien dedans, pas de vie intérieure, comment voulez-vous assumer votre vie extérieure ? »

Témoignage fort et lucide
Dans le cadre des cours de formation de ses militants, le syndicat FCTA (Fédération suisse des travailleurs du commerce, des transports et de la communication) diffuse chaque année le film de Jacqueline Veuve. Et chaque fois la force et la lucidité du témoignage d’Angèle Stalder font mouche auprès des syndicalistes. Tout au début du documentaire, au détour d’une phrase, Angèle Stalder donne malgré elle une explication au titre que la cinéaste a donné au film : « Tous les matins je me dis, Seigneur tu me donnes un jour, alors il faut en faire quelque chose. Donc moi je trouve que chaque jour est un cadeau. »

Texte paru dans Solidarité, décembre 1993.

Le film de Jacqueline Veuve :
https://edu.ge.ch/site/archiprod/1978-t1047-veuvejacqueline-angelestalder-betasp-1280x720/